Megan était perdue. Sa rupture avec Conner, après qu'il s'est enfoncé dans la nuit noir, pour ne plus jamais en sortir, lui avait fait l'effet d'un électrochoc. Grillant son cœur pour n'en laisser que des miettes incandescentes, agressées par les plaies purulentes des souvenirs de jours heureux en sa compagnie. Puis remontant jusqu'à son cerveau, pour flamber les fonctions cognitives, la laissant là, errante et hagarde, terriblement esseulée. Superboy était le premier visage amicale qu'elle avait rencontré, en arrivant sur Terre après avoir laissé sa planète d’origine à l'agonie. Il était aussi le premier représentant d'une autre planète, perdue dans un système trop vaste pour en faire le tour. Ils étaient deux étrangers, à la recherche de leur place dans un monde qui n'était peut-être pas fait pour eux. Il ne lui en fallut pas plus pour qu'il devienne son repère, son ami, sa famille. Il était l'étoile flamboyante autour duquel elle gravitait, elle, pauvre petite comète ne pouvant rivaliser avec la splendeur d'une magnifique planète. Qu'est-ce que pourrait signifier une martienne, après tout, face à une semi-déesse ? Et pourtant, il avait suffit qu'elle s'efface, pour qu'elle ne soit plus qu'un simple satellite et prenne de l'importance. Si Megan avait toujours loué le départ de Cassie, qui lui permit de se rapprocher de Conner, aujourd'hui, elle paierait cher pour trouver l'épaule réconfortante d'une amie. Car en dépit du triangle amoureux, plus terrible que celui des Bermudes, bien qu'elle en fut la seule à en souffrir, Wonder Girl, restait une amie et alliée. Elle n'avait rien fait, rien dit, pour empêcher son départ,. Superboy était son monde à elle aussi, sa mort supposée avait tout dévasté autour d'elle. La laissant orpheline et plus étrangère à tout ce qui l'entourait que jamais. Elle aurait très bien pu reprendre son vaisseau, en direction de n'importe quelle planète qui pourrait l'accueillir, si son atterrissage à Smallville n'avait pas été si "sportif", l'endommageant cruellement. Elle pouvait comprendre que Cassie ait besoin de se retrouver auprès de ses proches, quant à Megan, elle n'avait personne d'autre... Aujourd'hui, elle avait l'impression de revivre les mêmes sensations, même si la fin de leur de leur couple, ne signifiait pas la fin de Superboy, fort heureusement. Elle savait néanmoins qu'elle avait brisé quelque chose en lui, sa confiance envers elle, peut-être ? Et que rien ne serait jamais plus comme avant. Assise sur la muraille du fort, face à l'immensité du monde, elle se demandait comment des choses aussi insignifiantes que des êtres vivants pouvaient avoir des actes entraînant de si terribles conséquences. Elle s'en voulait, à en mourir, d'avoir brisé de sa main le bonheur qui était à portée de doigts. Juste parce qu'elle avait agi sans réfléchir. Parce que la peur de perdre Conner surplombée toutes les autres, et qu'elle ne pouvait laisser une chose aussi terrible lui arriver. Au risque de la voir finir dans un état aussi pitoyable que maintenant. Les yeux rougit par les larmes, elle effaça d'un revers de manche les sillons qu'elles avaient tracé sur ses joues, avant de reprendre sa marche sans but, si ce n'était celui de lui rappeler qu'elle était encore capable de se mouvoir, qu'une vie était possible sans Conner à ses côtés. Peut-être même qu'elle finirait par croiser un super vilain qui ferait l'erreur de la prendre pour cible et alors, elle pourrait déverser sa colère et montrer les preuves de sa frustration. Mais il n'y avait personne d'autre qu'elle et sa solitude, hormis quelques couples qu'elle maudit au passage pour lui rappeler ce qu'elle venait tout juste de perdre. Jusqu'à ce qu'une ombre familière se détache de l'obscurité. Superboy, himself. Elle avait du mal à y croire, tant elle l'avait cherché pour avoir une discussion qu'elle pensait mériter après leur séparation, en vain. Il fallait que cette marche hasardeuse la conduise à lui et la prenne au dépourvu... Elle avait imaginé maintes fois cette scène dans son esprit, avait appris par cœur le discours susceptible de lui redonner une meilleur opinion d'elle. Mais maintenant qu'il n'était plus qu'un fantasme cosmique, tout son courage et son éloquence s'étaient envolés. Les mots n'avaient jamais été ses armes de prédilection. Que faire alors quand notre seule conviction est de laisser passer le temps pour que les reproches soient moins incisifs. Disparaître ? La fuite était une voie à suivre qu'elle connaissait par coeur pour l'avoir de trop nombreuses fois empruntée. Elle n'était pas en mesure d'affronter sa colère, sa déception, aussi s'effaça-t-elle grâce à son pouvoir d'invisibilité. Réalisant que trop tard que sa vue lui permettrait de voir par dessus ses illusions. Tu sais que ton invisibilité ne fonctionne pas sur moi, Megan. Je te vois. Cela lui glaça le sang, un peu honteuse, comme une petite fille qu'on prendrait en faute, elle reprit sa forme opaque, bien obligée de lui face maintenant qu'elle était démasquée. Il aurait été trop stupide de feindre l'ignorance et de s'obstiner à rester cachée dans les ténèbres. Elle s'était attendue à beaucoup de choses, qu'il lui crie dessus, l'insulte, la répudie. Pas à ce qu'il se lève pour lui tourner le dos et reprendre une marche solitaire, sans un regard, sans un mot. A nouveau, la douleur, plus altière encore que la première fois qu'elle apparut. Alors c'est ça ton plan ? Me fuir jusqu'au restant de tes jours ? Elle accéléra le pas, pas pour se retrouver à sa hauteur et marcher à ses côtés, quelque chose l'en empêcha, les remords, peut-être... Elle resta derrière lui, se calquant sur son allure, pour ne pas se laisser distancer. Il faudra pourtant qu'on en parle, et que tu finisses par me pardonner. Un jour, ils étaient deux étrangers, à la recherche de leur place dans un monde qui n'était peut-être pas fait pour eux. Ils n'étaient peut-être pas semblables, mais se comprenaient étrangement. Ensemble, elle avait cru un instant qu'ils étaient parvenus à leur but. Grossière erreur, lourdes de conséquences.

Elle serra le poing, prit une grande inspiration et rassembla le peu de courage qui lui restait encore. Acceptant avec résignation de se soumettre aux abjectes coïncidences de la fatalité. Ils étaient de toutes façons destinés à se rencontrer de nouveau. Personne n'avait réussi à les séparer depuis leur rencontre, il n'était pas certain qu'eux-même y parviendraient. Il valait mieux encore ici, presque à l'abri de la vilénie du monde, plutôt que sur un champ de bataille. Qui savait ce que donnait une machine, tellement efficace par le passé, une fois enrayée ? Elle n'était pas prête à parier sur leur duo désorganisé, gangréné par les interférences qu'elle avait créées. Car elle savait qu'elle avait mal agi et pouvait assumer l’entièreté de la faute. Même si, quelque part au fond d'elle-même, du côté sombre, une pointe d'orgueil hurlait. Si elle se devait d'être elle-même, comme beaucoup de héros lui avait conseillé, dont Conner, pourquoi vouloir s'obstiner à l'empêcher de communiquer de la façon qui lui paraissait la plus naturelle ? Peut-on empêcher le rossignol de chanter ? Si ce n'est en lui arrachant les cordes vocales ? Fallait-il qu'elle finisse par s'automutiler pour s'intégrer à l'humanité ? Car c'était son désir le plus cher, être acceptée comme l'une des leurs, quitte à rejeter certaines parties qui faisaient d'elle M'gann M'orzz. Et depuis trois ans, elle ne cessait d'apprendre, de progresser, pour un jour espérer être leur égal. Un geste malheureux avait réussi à anéantir tous ces efforts. Comme si les années passées à taire tout un pan d'elle-même avait fait ressortir cette face cachée, de la pire façon qui soit. Elle ne se cherchait aucune excuse. Bien au contraire, plus le temps passait et plus elle comprenait qu'elle avait encore beaucoup de travail à accomplir. Elle avait délibérément blessé la seule personne à laquelle elle se pensait incapable de faire du mal. Juste parce qu'elle fut trop lâche pour affronter les sentiments de Conner. Une seconde, le temps d'effacer un souvenir, pour éviter des heures de disputes, de cris, de pleurs, et d'explications. Encore des mots, trouver les bonnes formules pour réussir à se justifier. Pour faire comprendre que les informations qu'elle avait extraite des esprits de ses victimes étaient absolument nécessaire à la réussite de leur mission, à sauver New-York et a fortiori, l'Amérique. Leur état catatonique, après son passage dévastateur dans leur esprit, n'était-ce pas une façon de faire d'une pierre deux coups ? Après tout, ils n'étaient que des nuisibles dont l'unique but était de répandre le chaos. Ne fallait-il pas plutôt se réjouir, qu'ils ne puissent faire de mal, vue leur état. Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle en venait toujours à la même conclusion. Et le fils Kent ne daignait pas lui faire partager son point de vue. Qu'avait-elle encore en réserve, après ça ? Si elle lui courrait après, ce n'était pas parce qu'elle conservait le fol espoir qu'il oublie, de sa propre volonté, pour reprendre là où en était leur histoire, avant que ça déraille. Sur ce point, ils étaient d'accord, ils ne pourraient plus former un couple. Il fallait qu'elle apprenne d'avantage à se connaître, avant de partager son intimité surtout avec lui. Trop amoureuse, trop désireuse de vouloir lui plaire pour accepter de le décevoir, sur n'importe quel plan, à n'importe quel degré, pour oser affronter ce que traduisent ses beaux yeux quand il ne s'agit pas d'amour. Et elle semblait plutôt douée pour décevoir l'inflexible Superboy. Elle se détestait, mais elle sentait qu'elle était prête à recommencer, au moindre danger du même ordre. Pour lui comme pour elle, mieux valait qu'ils se tiennent éloignés, au moins sur le plan sentimental. Et si sa manigance, à tout point de vue, avait été un désastre, au moins avait-elle été utile à cette entreprise .Il restait silencieux, ce qui la rendait encore plus nerveuse que d'ordinaire. Alors elle se décida à parler à sa place. Est-ce que ça va durer encore longtemps ? ça fait des mois Conner... Quand une heure loin de toi ressemble déjà au purgatoire... Ils allaient de pairs, elle n'en démordrait pas. Il était le policier quand elle était la voleuse. Le cow-boy quand coiffée de nattes, elle jouait à l'indienne. Ils étaient des béquilles, l'un sans l'autre, tout se cassait la gueule. Et elle n'en pouvait plus de vivre ainsi, à moitié, amoindrie. Il parlait, enfin. Et ses mots étaient aussi tranchants que des poignards. Elle stoppa net, tenta de contenir cette main oppressante qui lui serrait la gorge et qui bientôt ferait couler ses larmes et dit dans un souffle, tête basse. Si c'est vraiment ce que tu souhaites... Elle n'avait fait aucune double lecture de ses mots et les avaient pris pour argent comptant. Il en était souvent ainsi pour des concepts qu'elle avait encore du mal à intégrer, comme les questions rhétoriques, l'ironie, la dissimulation et même le mensonge. Qu'importe comme elle avait agi, même de très mauvaise façon, c'était ici qu'elle l'avait appris. Sur Mars, les connexions télépathiques entrainant la communion des esprits, il était impossible de passer outre la franchise. Plaçant la main sur sa tempe droite, elle fit le compte de ses propres souvenirs, avant d'avoir à envahir l'esprit de Conner pour supprimer les siens. Son réveil dans une pièce secrète du hall of justice, le soulagement de le voir en vie et presque en pleine possession de ses moyens. La crise passagère d’identité qu'il dut traverser, après être revenu des serres dangereuses et possessives de la mort et sa façon de le soutenir pour le voir redevenir lui-même avant qu'il ne parte pour rechercher sa Wonder-Girl chérie. mais les choses ne s'étaient pas passées ainsi. Leur premier baiser, la première fois qu'elle l'emmenait dans sa chambre, le diner romantique qu'il avait organisé pour son anniversaire. Leur façon de se moquer du présentateur vedette des jeux télévisés, quand agglutinés l'un à l'autre, ils jouaient aux loutres vautrées sur le canapé. Elle souriait et pleurait en même temps, chérissant chacun de ses souvenirs comme une mère aimante et malade le ferait envers ses enfants. Pour rien au monde, elle ne voudrait s'en débarrasser. Mais si c'était ce qu'il souhaitait, si c'était le prix à payer pour pouvoir être de nouveau à ses côtés, qu'il l'accepte comme amie, alors elle était prête à le faire. Que ne pourrait-elle faire, de toutes manières, pour les beaux yeux de Conner Kent-Luthor ? Est-ce que tu es prêt ?